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Expertise
Discours de rentrée d’Emmanuel Macron : des critiques en abondance

Thierry Herrant
Consultant - Enseignant en communication publique à Sciences Po Paris

@thierryherrant

Nous retrouvons cette semaine, sur le blog de Visibrain, Thierry Herrant, consultant et enseignant en communication publique à Sciences Po Paris, pour un décryptage des réactions Twitter face au discours de rentrée d’Emmanuel Macron.

Ce devait être un discours de rentrée en surplomb d’une actualité plutôt lourde cet été. Ce fut en réalité une longue séquence d’indignation qui pourrait bien plomber un peu plus l’image du chef de l’État.

Mercredi dernier, à l’occasion du Conseil des ministres de rentrée, dans une courte allocution diffusée par les médias, Emmanuel Macron a souhaité développer sa vision des enjeux planétaires et de leur impact sur la France et les Français.

Guerre, climat : la tonalité « churchilienne » du discours du Président détonnait avec son optimisme habituel. Cette fois, il s’agissait de préparer les Français à faire des efforts, voire des sacrifices dans les prochains mois, en parlant de « fin de l’abondance », de « grande bascule » ou encore de « fin de l’insouciance ».

Les mots avaient été choisis avec la volonté de marquer les esprits par un discours de vérité, voire de dramatisation sur les transformations et les temps difficiles à venir. Thierry Pech, le patron du think tank Terra Nova, parlera même de « lyrisme annonciateur ». Ce registre est d’ailleurs relayé par le camp présidentiel, qui parle de « crise la plus grave depuis la fin de la guerre » (François Bayrou).

Après un tel discours, on aurait pu imaginer que le débat politique - sur Twitter et dans les médias - porte sur l’écart important entre un registre dramatique/prophétique et un programme d’actions qui s’attardait plutôt sur la réforme des retraites ou l’assurance-chômage. Il n’en fut rien.

Discours d’Emmanuel Macron : Twitter retient « la fin de l’abondance »

L’indignation sur Twitter va se cristalliser autour d’une expression, « la fin de l’abondance ».

On recense en quelques jours près de 430 000 messages via 106 000 utilisateurs mentionnant ce mot. La crise est intense, elle mobilise et elle dure, signe que le terme a particulièrement résonné sur le réseau, captivant une opinion plus large que le cercle habituel des militants.

timeline abondance

La tonalité associée au mot abondance est essentiellement négative, comme en témoignent les émojis les plus utilisés dans les messages :

top emojis

Près de 1 700 contenus (articles de presse en ligne, de blogs…) sont ainsi diffusés. On exhume notamment des articles anciens et tous les « vieux dossiers » pointant les excès de l’Exécutif et du personnel politique ou encore les profits des entreprises du CAC40. Ce sont les plus partagés sur Twitter :

top articles

La « fin de l’abondance » offre un angle d’attaque idéal aux oppositions et tout particulièrement à certains « influenceurs » politiques, au rôle important dans la viralisation des polémiques sur Twitter, souvent des opposants à Emmanuel Macron, dont les tweets figurent parmi les plus relayés.

Top 5 des tweets les plus partagés :

top tweets

« Fin de l’abondance » : comment expliquer un tel déchainement sur Twitter ?

Première explication : on ne sait pas à qui s’adresse réellement Emmanuel Macron

Comme le rappelle le communicant Philippe Moreau-Chevrolet dans La Dépêche du 25 août, « on ne sait pas à qui il parle… il délivre un message souverain afin de montrer qu’il maîtrise ce qui nous arrive mais qui n’est pas adapté à la réalité politique d’aujourd’hui ». Parle-t-il à ses ministres, à ses partisans ou aux Français plus largement ? À l’évidence, vu le format et sa médiatisation, c’est aux derniers qu’il s’adresse.

Là réside sans doute la première dissonance, car dans l’opinion, le sentiment qui prévaut est celui d’avoir déjà fait beaucoup d’efforts, d’avoir connu de nombreuses restrictions depuis deux ans avec le COVID, de subir des contraintes persistantes en termes de pouvoir d’achat… Tout cela rend inaudible un discours sur la fin de l’abondance, ce tweet en est le parfait exemple :

Deuxième explication : les représentations d’Emmanuel Macron semblent trop éloignées de son message

Mais au-delà d’identifier « à qui » parle le chef de l’Etat, la question qui se pose est aussi de savoir « d’où » celui-ci parle, autrement dit se demander quelles sont les images et les représentations les plus communément partagées à son égard. En effet, les représentations associées à l’émetteur du message conditionnent largement la perception qu’en aura le récepteur.

Ainsi « la fin de l’abondance » est venue percuter directement trois grandes représentations attribuées à Emmanuel Macron depuis le début de son premier quinquennat, en 2017 :

Représentation n°1 : le monarque républicain

Le monarque républicain, c’est l’image d’un Président dispensé des efforts et des contraintes qu’il impose au commun des mortels/citoyens. À cette représentation, on peut par exemple associer la photo très relayée du jet ski :

On peut également associer ce moment volé de ses vacances sur un bateau, tweet le plus partagé de la séquence « abondance » :

Représentation n°2 : le président des (ultra) riches

C’est une image qui colle à la peau d’Emmanuel Macron depuis son premier quinquennat. Elle représente une France à deux vitesses : la France d’en bas, celle des humbles, qui serait systématiquement mise à contribution, tandis que celle d’en haut – celle des privilégiés – continuerait de s’enrichir effrontément sans contraintes.

Or, l’objectif de sobriété et de changement des comportements est intimement lié, en France, à celui d’une plus grande justice sociale. Et en la matière, la défiance envers le Président est grande :

selection de tweets

Représentation n°3 : le défenseur d’un modèle capitaliste et d’une société ultra-libérale

C’est la dimension sans doute la plus politique de cette séquence « abondance ».

Emmanuel Macron, par son parcours et ses convictions, symbolise pour beaucoup un capitalisme mondialisé et un système libéral échevelé jugés les premiers responsables des dérèglements planétaires. En parlant de « fin de l’abondance », le chef de l’Etat passe auprès de beaucoup pour un cynique ou pour un pompier pyromane :

On comprend dès lors qu’avec ces attributs d’image, le Président peut difficilement porter un discours sur la fin de l’abondance et la sobriété.

La conjonction de ces trois éléments associés à une opinion tendue et inquiète pour l’avenir a donc conduit à une longue vague de réactions essentiellement négatives, ce que montre bien le top des expressions et hashtags associés aux 430 000 messages analysés :

top expressions et hashtags

Cette bronca générée par « la fin de l’abondance » est symptomatique du climat politique actuel : un pays en proie à de multiples tensions et une défiance toujours aussi latente envers le Président. Les appels à la mobilisation collective dans les prochains mois risquent d’avoir du mal à se faire entendre.

Bandeau whatsup