Mot d'introduction d'Anthony Boucharel et Gaspard Massot


5 novembre 2025. Zohran Kwame Mamdani (ZKM) devient le 111ᵉ maire de New York, obtenant plus de la moitié des voix (50,4%). Opposé à l'ancien gouverneur de New York Andrew Cuomo et au conservateur Curtis Sliwa, comment ce pur produit l’Upper West Side, un quartier bourgeois de Manhattan, a fait des réseaux sociaux son terrain de jeu pour diffuser ses idées et faire face à ses opposants ?

Mamdani, une puissance social media et une compréhension des grammaires qui effacent ses concurrents

Si les raisons de son succès sont variées, le candidat démocrate semble avoir fait des plateformes social media le fer-de-lance de sa communication. Dans la dernière ligne droite de la campagne, soit depuis le 01/10/25, ZKM a adopté une stratégie d’approche très différente de celle menée par ses concurrents. Méthode qui s’avère payante lorsqu’on l’évalue par le prisme de la performance social media : sur TikTok , Instagram ou encore X, le candidat démocrate a généré en moyenne 7 fois plus d’engagements que ses concurrents.

Si on peut observer des similitudes dans les thématiques abordées par ZKM sur chaque plateforme, la puissance de sa communication réside dans une ligne éditoriale taillée sur mesure pour chaque réseau, là où ses concurrents réutilisent les mêmes tactiques éditoriales sans prendre en compte les spécificités propres à chaque plateforme.

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Peu importe les thématiques, l’humour, les contenus décalés et les trends semblent régir la communication de ZKM sur TikTok. Là où ses concurrents semblent opter pour une approche moins “platform-centric”, C. Sliwa valorisant le soutien de politiciens âgés et probablement peu connus par les audiences de la plateforme par exemple, Mamdani s’associe avec des figures de la pop culture connues sur TikTok, éloignées du monde de la politique. Cette approche renforce la pertinence de sa stratégie sur la plateforme.

Dans des contenus générant près de 2 millions d'engagements, face caméra, micro-chemise bien en vue attaché à un costume pourvu d’une cravate désormais devenue iconique, ZKM s’adresse directement aux communautés qu’il souhaite cibler dans leurs langues respectives, renforçant son authenticité et son attachement au multiculturalisme, point central de sa campagne. A. Cuomo opte, lui, pour une approche moins personnelle et plus générique, en publiant des vidéos montrant la mobilisation de ses électeurs hispaniques ou afro-américains, sans s’y associer personnellement.

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Si les contenus humoristiques sont aussi présents sur Instagram et continuent de se démarquer (20% de l’engagement total sur Instagram sur le dernier mois réalisé par un Reel où le candidat réplique à un passant l’invectivant), ses propositions de campagne semblent occuper une place bien plus importante que sur TikTok. Parmi ses contenus les plus engageants, ses propositions pour améliorer la condition des minorités. Une vision de la communication social media plus politique qui ne l’empêche pas de tirer profit de moments culturels importants à travers des contenus décalés : pour évoquer l’augmentation du coût de la vie, le candidat a produit une vidéo sur la thématique du Bachelor (une émission de téléréalité américaine où un/une candidat.e doit choisir son/sa prétendant.e), générant plus de 185 000 likes.

L’esthétique des posts a aussi son importance sur Instagram : en plus d’une parfaite maîtrise de la mécanique de la plateforme (crosspost, live Instagram) le candidat y associe une typologie moderne et un code couleur flashy et évocateur. Une direction artistique qui ne se cantonne pas aux réseaux sociaux, puisqu’on la retrouve également lors de ses meetings et/ou sur les flyers distribués par ses partisans, assurant une continuité entre discours en ligne et dans la vie réelle.

S’il y a bien une plateforme où la communication des candidats semble s’harmoniser, c’est sans conteste sur X. Dans la plus pure tradition Trumpienne, les 3 candidats à la mairie new-yorkaise ont fait du réseau une véritable arène. 25% des publications les plus engageantes publiées par ZKM sur X sur le dernier mois avant les élections sont des critiques envers A. Cuomo : reproche du soutien de D.Trump et E.Musk, critiques ouvertes des déclarations de ses adversaires, ainsi qu’accusations de harcèlement sexuel figurent parmi les posts les plus engageants du candidat démocrate. Cette stratégie de communication, bien différente de celles menées sur TikTok et Instagram, semblent davantage être une réaction aux multiples attaques de l’ancien gouverneur de New-York : 75% de ses publications les plus engageantes sur X au cours du mois précédant l’élection avaient pour but de décrédibiliser le futur maire de New York, notamment en lançant le hashtag #SayNoToZo (utilisé plus de 7 000 fois par Cuomo et ses partisans sur la période).

Une élection américaine qui vit en France grâce au candidat démocrate

 

Quasiment inconnu du grand public il y a deux mois, les élections municipales new-yorkaises ont propulsé ZKM sur le devant de la scène politique internationale, faisant désormais de lui un acteur incontournable de la politique américaine, alors que sa zone d’influence demeure confinée entre le Queens et Staten Island. En France, difficile de croire que cette élection aurait suscité autant d’intérêt sans une personnalité aussi clivante que Zohran Mamdani : depuis le 1ᵉʳ octobre 2025, 75% des conversations (en français, sur X) en lien avec l’élection ont mentionné le candidat démocrate. En analysant plus en détails les conversations françaises provenant de X (plateforme qui a concentré l’essentiel des échanges en France sur le sujet), on peut voir que l’élection a occupé une place importante dans l’actualité française la semaine précédant les municipales.

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Engagé dans une bataille contre un ancien gouverneur démocrate et un ex-membre du Parti républicain, près de 10 % des conversations en France sur le sujet l’ont pourtant opposé au président américain Donald Trump. En cause, son profil qui le positionne comme un élément de rupture radicale avec le pensionnaire de la Maison-Blanche : jeune, musulman et engagé dans les combats de justice sociale, le vent de “fraicheur” apporté par Zohran Mamdani fascine. La tentation de le voir comme un futur candidat à la présidentielle 2028 semble irrésistible.

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Des sujets de discussion relatifs au candidat Mamdani qui polarisent les échanges et les communautés

 

En plus de son positionnement face à Trump, sa religion semble également occuper une place importante dans la perception française du candidat démocrate : 11% des conversations au sujet de ZKM ont évoqué sa religion. Un sujet qui semble faire réagir essentiellement des comptes liés à l’extrême droite française, qui capitalisent sur sa religion pour en tirer des contenus viraux. Sur les 10 contenus les plus re-partagés au sujet de Zohran Mamdani et de sa religion, 7 proviennent de comptes proches des mouvances nationalistes et xénophobes. Ce discours s’est accentué dans les heures qui ont précédé et suivi son élection. Plus minoritaire, mais tout de même présent, les conversations faisant de ZKM un soutien majeur de la Palestine ont par ailleurs été un sujet notable de conversations (+10 000 mentions), cette fois-ci plus clivantes, entre soutiens et critiques. Néanmoins, les positions pro-palestiniennes de ZKM demeurent minoritaires dans le discours tenu sur les réseaux sociaux par le candidat lors de sa campagne.

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Découlant naturellement des sujets qui ont animé le débat en France, les communautés qui se sont exprimées semblent tout aussi polarisées.

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Plusieurs personnalités politiques influentes, principalement situées à gauche, ont interpellé Zohran Mamdani directement sur X pour le féliciter après sa victoire, comme des cadres de La France Insoumise tels que Manuel Bompard ou de Sophia Chikirou. La volonté de faire de cette élection un casus belli pour la présidentielle française de 2027 semble être la ligne directrice des différents messages de soutien émanant au lendemain de la victoire de Mamdani. De l’autre côté de la sphère politique française, les posts critiques, à dimension parfois racistes, ont également commencé à émerger une fois la victoire de ZKM consacrée dans les urnes. Exemple pouvant illustrer cette situation, la publication, au lendemain de son élection, de près de 13 000 publications sur X mentionnant la date du 11 septembre et établissant une corrélation entre ce drame et l’élection du premier maire new-yorkais musulman. Principalement portés par des figures virales de l’extrême droite française, à l’image de Jean Messiha ou Marion Maréchal, ces propos illustrent la perception en France de l’élection de Mamdani auprès de certaines communautés.

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Symbole d’une nouvelle ère progressiste et internationale pour certains, synonyme du péril islamiste et de la montée du communautarisme pour d’autres, rarement des élections municipales américaines auront suscité autant de débats en France. Pour autant, difficile de dé-corréler ces prises de paroles de la “culture de l’instant” qui les a vus naître, faisant de ces élections un prétexte pour évoquer des sujets de politiques nationales, comme en témoigne la chute des conversations sur le sujet : dans les 48 heures suivant les municipales, les conversations sur le sujet en France ont été divisées par 6.

Une puissance social media qui rappelle celle de Donald Trump

 

Comme Donald Trump, Zohran Mamdani a fait des réseaux sociaux un terrain privilégié de sa communication : il y façonne son image, impose ses thèmes et affronte ses adversaires en exploitant les atouts spécifiques de chaque plateforme. Dans une gauche américaine qui se cherche désespérément une figure et face à un électorat démocrate en quête de “radicalité” (échec de Kamala Harris et repli d’Alexandria Ocasio-Cortez), Zohran Mamdani peut-il entrer dans le ring face à Trump ?

Car les réseaux sociaux sont certainement l’une des arènes favorites de Donald Trump.

Au cours des 30 derniers jours, ses contenus ont généré en moyenne plus de 230 000 engagements et plus de 4 000 000 de vues… en utilisant qu’une seule plateforme. Connu pour sa verve social media et son usage immodéré des plateformes, la communication de Donald Trump s’est recentrée autour d’un petit nombre de réseaux sociaux.

Ces performances, il les a générées sur Instagram, seule plateforme via laquelle il a publié du contenu au cours de la période. En comparaison avec Emmanuel Macron, Giorgia Meloni ou Keir Starmer, autres chefs d’Etat et de Gouvernement du G7, il jouit d’un impact que ses pairs ne réussissent à atteindre.

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Fort de cette performance inégalée par une personnalité politique sur la période, il bénéficie également de plus de 164 millions de followers à travers seulement 3 plateformes : X, Instagram et TikTok. À périmètre équivalent, Emmanuel Macron en compte 22 millions, Giorgia Meloni 11 millions et Keir Starmer un peu moins de 3 millions.

Si Donald Trump peut se permettre de délaisser (parfois occasionnellement) certaines plateformes, c’est qu’il concentre une partie de son effort social media sur Truth Social, son propre réseau.

Créée pour contourner la désactivation des comptes de Donald Trump sur un grand nombre de plateformes après l'assaut du Capitole, Truth Social est aujourd’hui la plateforme où le président américain s’exprime le plus. C’est aussi sur cette plateforme que Donald Trump use de la plus grande “liberté d’expression”, en publiant des attaques ad hominem contre des personnalités politiques américaines (alliées ou adversaires) ou en publiant ou repostant des montages et contenus attaquant ses détracteurs. Néanmoins, malgré la permissivité de la plateforme, les prises de parole de Donald Trump n’atteignent pas le niveau de visibilité et d’engagements atteint sur les autres plateformes. Il génère en moyenne entre 10 000 et 20 000 interactions par post et ne compte “que” 11 millions de followers, soit moins que sur TikTok, plateforme où il compte le moins de followers (15.7 millions). Ce qui rend Truth Social unique dans la communication numérique de Donald Trump, c’est l’attention qui y est portée, notamment par les médias, qui surveillent les expressions du président MAGA en direct.

Une stratégie social media qui tend à se passer de la plateforme d'Elon Musk, X

 

Et côté expression sans filtre, s’il y a quelque chose à noter également dans l’écosystème social media de Donald Trump, c’est l’érosion de l’usage de X. Sur la même période en 2024, moment de la dernière ligne droite de sa campagne de réélection, plus de 500 000 messages avaient été publiés par Donald Trump. La quasi totalité émanant de dispositif automatisé pour rappeler à ses supporters de voter (s’ils avaient liké l’un de ses posts). Outre ces contenus, Donald Trump avait pris la parole près de 200 fois (entre le 18/10/24 et le 17/11/25), générant 50 millions d’engagements et près de 4 milliards d’impressions.

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À période équivalente en 2025, aucun contenu n’a été publié. Cette baisse d’utilisation dans l’usage de la plateforme a démarré dès la réélection actée. Les semaines précédant la querelle Trump/Musk ont vu le nombre de contenus diminuer. Post-fracture, X est tombé dans un quasi-oubli du côté du locataire de la Maison Blanche.

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Un chef d'État étranger, très présent dans les conversations social media françaises

 

Parmi les chefs d’Etat étudiés, il apparaît comme le deuxième plus mentionné sur X au cours des 12 derniers mois en France, derrière Emmanuel Macron.

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Bien que derrière le chef de l’Etat français, Donald Trump domine les autres leaders du G7 analysés, génèrant près de 19 fois plus de mentions que l’italienne Giorgia Meloni.

Pourquoi une telle domination dans les conversations françaises ? Parce que Donald Trump est, avant d’être un homme politique, un showman. Il a le sens des petites phrases qui seront ensuite capturées et diffusées de manière virale sur les réseaux sociaux dans le monde entier.

Ses propos et ses actions sont largement repris par des communautés pro-Trump qui les utilisent dans un contexte de politique nationale. Les actes du président américain servent tour à tour à dénoncer la faiblesse du pouvoir français, l’inertie de l’Union Européenne ou encore à mettre en avant l’humiliation supposément reçue par le président français face à son homologue américain.

L’analyse plus détaillée des sujets qui portent Donald Trump dans les conversations viennent appuyer cette approche.

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Outre certains grands moments, comme la cérémonie d’investiture de janvier 2025, plusieurs sujets sont repris et portés par des communautés MAGA en France et/ou par des détracteurs d’Emmanuel Macron. Les propos de D.Trump en marge du G7, l’accord signé avec la présidente de la Commission européenne en Ecosse, le discours prononcé aux Nations Unies ou encore le sommet de Charm-El-Cheikh sont les exemples qui viennent illustrer ce point. Malgré le contexte international et la portée de certains événements, ces séquences sont utilisées en France de manière à attaquer et à critiquer l'exécutif actuel.

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Ces contenus sont, pour chacun des sujets, parmi les 10 contenus les plus engageants et les plus partagés, gonflant ainsi la diffusion de ces messages. Les dynamiques de ces contenus viennent illustrer les communautés existantes dans les conversations relatives à Donald Trump en France.

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La cartographie illustre le poids et la domination des comptes et échanges provenant de soutiens de Donald Trump. Soutiens qui utilisent la plupart du temps les propos du président américain pour alimenter un débat de politique nationale en France.

Il est toutefois intéressant de noter que les communautés françaises impliquées dans les conversations autour du président américain sont en partie similaires à celles présentes dans les échanges autour du nouveau maire de New-York. Cela montre à quel point le débat politique américain, et les personnalités qui l’incarnent, nourrissent le débat politique français et la polarisation des communautés, chaque partie reprenant à son compte, certains éléments à valoriser pour appuyer ses propos.

Une opposition surjouée par les médias et des points communs, quel avenir pour le duel Mamdani-Trump ?


Donald Trump et Zohran Mamdani apparaissent comme deux géants social media, n’ayant que peu de concurrence sur leur terrain de jeu respectif : politique locale / fédérale pour l’un et politique internationale pour l’autre. Il sera intéressant de suivre, dans les mois à venir, si l’opposition tant théorisée au cours des dernières semaines autour de ces deux personnalités aura bien lieu et si les réseaux sociaux en seront le territoire privilégié. La manière dont le “Zohran Mamdani maire” utilise les réseaux sociaux par rapport au “Zohran Mamdani candidat” sera également intéressante à suivre. Il y a quelques années, Alexandria Ocasio-Cortez, forte de son usage des réseaux sociaux et notamment d’Instagram, s’était créée une place de choix dans le face-à-face Démocrate-Républicain. Désormais, le momentum de la représentante de l’Etat de New-York semble passé. En sera-t-il de même pour la nouvelle star des Démocrates américains ?