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Comment distinguer un simple signal faible d'une véritable crise ? Et quels indicateurs permettent aujourd'hui de mesurer la gravité et la vitesse de propagation d'un bad buzz ?


Pour une entreprise, avoir une surveillance précise de sa réputation en ligne est crucial pour détecter la naissance de crise ou de polémique le plus rapidement possible. Cependant, au-delà d’une surveillance classique par mots-clés autour de sa marque, il est également important de surveiller des panels de sources spécifiques (activistes, ONG, journalistes spécialisés, etc) qui permet d’identifier toute sur-activité autour du secteur de l’entreprise ou de l’entreprise elle-même. Par exemple, dans le cas de la crise Pernod Ricard & PSG il aurait pu être envisagé en amont la création de panels de sources (médias, supporters Parisien, supporters Marseillais, personnalités politiques, etc) qui aurait permis d’identifier une sur-activité de la communauté « supporter Marseillais » sans propagation aux autres communautés et donc relativiser la crise.

Chez Backbone, nous considérons comme un signal faible le premier élément sensible sur un client mais dont la portée de la publication reste très limitée (restreint à une communauté, peu d’engagement, peu de volume, une vélocité de la viralité faible). Par exemple, pour la crise des « AirTags Takata de Citroën » encore en cours aujourd’hui, les premiers signaux faibles auraient pu être détectés grâce à une veille internationale notamment aux USA et en Espagne.

À l’inverse, nous considérons une crise de communication à partir du moment où le sujet se propage dans différentes communautés (journalistes, politiques, activistes, grand public) ou si la vélocité de la viralité est anormalement élevé (vitesse de propagation de l’information ou de l’engagement ou du nombre de commentaire sur le sujet). Pour différencier les deux cas, nous avons créé des panels de sources représentatifs des différentes communautés afin de pouvoir très rapidement qualifier s’il s’agit d’un signal faible ou une crise réputationnelle. Nous avons également créé un indicateur de vélocité à partir duquel nous considérons qu’une crise est en cours.

À noter, la montée en puissance de Reddit en France doit être prise en compte dans la détection de signal faible pour les entreprises. Le réseau est assez peu générateur de crise mais est parfois le lieu des premiers signaux faibles.

Quelles différences observez-vous dans la manière dont une crise s'amplifie selon les réseaux ? Certaines plateformes sont-elles plus "inflammables" que d'autres ?

Une crise médiatique peut se propager sur les réseaux sociaux et inversement, de plus en plus de médias et journalistes recherchent leurs sujets sur les réseaux sociaux. C’est notamment pourquoi, le phénomène « d’astroturfing » (faire monter artificiellement un sujet en ligne par l’utilisation de faux comptes / bots) est souvent utiliser en espérant attirer l’attention des médias.

Aujourd’hui, j’aurais tendance à dire que LinkedIn, malgré la transformation de ce réseau professionnel à l’origine vers un véritable réseau social et notamment l’investissement massif de la plateforme par des acteurs encore peu présents jusqu’ici (ONG, activistes, sportifs de haut niveau, personnalités politiques), reste peu générateur de crise. Les contenus sensibles publiés sont principalement des duplications de contenus provenant d’autres réseaux où les communautés sont plus fortes et engagées (Instagram, TikTok).

À l’inverse, nous avons vu l’émergence de TikTok et Instagram comme des réseaux de plus en plus crisogènes et dont les besoins de surveillance se sont démultipliés. Cependant, la spécificité de ces réseaux notamment en termes de crises, étant que ces dernières se restreignent dans la majorité des cas à quelques publications qui cumulent la majorité des vues et de l’engagement, il y a assez peu de phénomène de propagation, à l’inverse de ce que l’on peut avoir sur X. Il est également intéressant de relever que sur ces réseaux, à l’instar de Facebook, les internautes commentent plus facilement les publications pour exprimer leurs opinions « sincères » sur une marque.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier Facebook que l’on annonçait en déclin il y a quelques années mais qui reste pour les entreprises, le réseau qui permet de sentir plus finement la perception des internautes à travers notamment les commentaires. L’anonymat des comptes étant plus faible sur ce réseau, il est plus facile de déceler la naissance de crise réputationnelle car nous pouvons y mesurer un ressenti au plus proche des internautes.

Quant au réseau X, c’est un réseau que l’on regarde toujours mais qui a perdu de sa superbe en matière de création de crise pour les entreprises. Cela s’explique par une polarisation du débat et notamment l’omniprésence de communautés complotistes et d’extrêmes droites qui se partagent la visibilité sur le réseau. Nous avions vu ce phénomène notamment pendant la crise Geox où plus de 30% des comptes étaient assimilés à l’extrême droite et avaient polariser le débat sur X. Aujourd’hui, sur ce réseau seul les sphères autour du sport, de l’e-sport et des créateurs de contenus arrivent encore à émerger comme nous avons pu le voir lors de la crise Pernod-Ricard & PSG, où les supporters marseillais, habitués du réseau avait réussi à émerger en utilisant notamment le #boycottPernodRicard.

Comment savoir s'il faut répondre ou non à une crise ? La transparence est-elle toujours obligatoire en période de crise ? Et comment trouver le juste équilibre entre transparence et maîtrise du discours ?

Chez Backbone, nous sommes convaincus que le silence n’est plus une option, l'époque où la stratégie de crise consistait à enfouir sa tête dans le sable est révolue.

Il est aujourd’hui impératif de se défendre en cas de crise, voire d’attaquer. Et cela ne peut pas se faire si vous gardez le silence. Néanmoins, répondre ne veut pas forcément dire prendre la parole ou donner une interview : cela peut vouloir dire mobiliser votre réseau d’alliés pour qu’ils s’expriment, valoriser des actions qui vont dans le bon sens, mettre en exergue des mesures prises par l’entreprise etc.

In fine, la stratégie de réponse doit ressembler à son entreprise et son dirigeant : ont-ils l’habitude de communiquer, sont-ils à l’aise dans l’exercice, ont-ils quelque chose à dire ? Sont autant de questions qui permettent de peaufiner la stratégie. 

Comment une marque peut-elle reprendre la main sur la conversation et rééquilibrer le narratif ? Peut-on selon vous, transformer une crise en opportunité, voire en moment de vérité pour l'image de marque ?

Effectivement, une crise peut-être une opportunité pour une entreprise. Passée l’effet de sidération, la crise va permettre une grande clarification des lignes : qui sont vos réels alliés, qui sont vos opposants, avez-vous des relais dans l’opinion ? Ce travail de clarification va ensuite guider la stratégie d’après-crise.

Quant au contrôle du narratif, il n’existe pas de recette clef en main pour le reprendre. Mais je dirais que le pré-requis est une analyse fine de l’opinion, de toutes les prises de parole dans la crise et des forces en présence. Cette analyse va permettre de calibrer la réponse pour s’assurer qu’elle tape dans le mille. Cela doit se faire sur la base d'éléments solides et tangibles. C’est une évolution majeure de notre métier : l’instinct du communiquant, parfois « gourou » n’est plus suffisant. Ce travail d’analyse a un autre mérite, il permet d’identifier les divergences entre vos détracteurs, capitaliser sur ces divergences est clef pour fissurer le front auquel vous faites face

Une fois la tempête passée, comment une marque peut-elle tirer les bonnes leçons d'une crise pour en ressortir plus solide ? Et que recommandez-vous pour intégrer ces apprentissages dans la stratégie de communication future ?

Il est impératif de tirer les leçons d’une crise pour faciliter la gestion des futures. Elles sont multiples par exemple sur le fonctionnement de la cellule ? La transmission des informations en interne, la réactivité etc. Pour revenir sur ce que nous disions précédemment concernant les alliés de l'entreprise : se sont-ils mobilisés ? Sont-ils montés au créneau ? Si tel n’est pas le cas, alors le travail de structuration du réseau d’allié devra être repris. 

En conclusion, si vous deviez résumer en une phrase clé une communication de crise réussie, quelle serait-elle ?

Dans un premier temps : la préparation. Une crise est toujours imprévue mais elle n'est jamais imprévisible. Il faut donc tout mettre en œuvre pour l’anticiper.

Sur le plan technique : structurer la cellule de crise, parfaire son fonctionnement, sa composition, la formation des porte-paroles etc. Mais aussi sur le plan de la pure communication : identifier les sujets crisogènes les plus sensibles et les plus à même de sortir pour commencer à réunir des éléments de preuve et préparer la réponse

Dans un deuxième temps : la factualisation. Une analyse fine de la crise fine avec des outils de surveillance comme Visibrain est clé pour comprendre qui parle, où; comment, quelles sont les communautés en action, quels sont les arguments qui imprègnent dans l’opinion, à quelle vitesse elle se propage, etc.

Et enfin : la communication. Déployer une stratégie de réponse nourrie par les éléments collectés en amont et guidée par l’analyse de l’opinion qui aura été réalisée.