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L'avis des experts
De la présidentielle aux législatives : 4 transformations notables de la twittosphère politique

Thierry Herrant
Consultant - Enseignant en communication publique à Sciences Po Paris

@thierryherrant

Nous accueillons cette semaine, sur le blog de Visibrain, Thierry Herrant, consultant et enseignant en communication publique à Sciences Po Paris, pour un décryptage des législatives vues de Twitter.

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, une nouvelle bataille numérique, tout aussi âpre, vient de s’ouvrir pour les législatives. Celle-ci s’inscrit dans une configuration très particulière de la twittosphère politique, qui a prévalu durant toute la durée de la campagne présidentielle.

Rappelons-le, le trait le plus saillant de l’écosystème de la présidentielle 2022 sur Twitter a été la prépondérance des communautés numériques LFI et Reconquête. Toutes deux ont largement dominé les débats et orienté l’agenda médiatique et politique tout au long de la campagne. À l’inverse, il faut souligner le silence assourdissant, voulu ou subi, du reste de la gauche (EELV et PS) et des partis considérés au centre et à droite de l’échiquier politique (LREM et LR), jusqu’à l’extrême-droite de Marine Le Pen. On note enfin la présence récurrente d’une sphère hétéroclite autour de Florian Philippot, qui est souvent venue bousculer le cours de l’élection (cf. l’affaire McKinsey).

Hyperactivité sur les réseaux sociaux ne rime pas forcément avec victoire électorale

De cette hiérarchie particulière, un enseignement s’impose d’emblée : être hyperactif sur le terrain numérique ne conduite pas nécessairement à une victoire électorale. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon est arrivé troisième à la présidentielle, Éric Zemmour réalise un faible score avec 7,07 % des suffrages, niveau sans commune mesure avec sa part de voix dans la twittosphère. À l’inverse, Marine Le Pen, peu portée par le RN sur Twitter, accède au second tour et réalise un score électoral sans précédent.

Méthodologique : en nous basant sur le sujet de veille « Présidentielle 2022 » de Visibrain et en faisant un focus précis sur les législatives, nous avons cherché à déterminer si la twittosphère politique présentait ou non la même structure et les mêmes rapports de force que durant la présidentielle. Nous avons ainsi établi une cartographie sur les deux premières semaines post-élection (du 25/04 au 02/05), et étudié le sujet de veille « législatives » jusqu’au 8/05 (soit près de 744k tweets).

Législatives : près de 744 000 messages publiés sur Twitter depuis l’élection présidentielle

volume de tweets legislatives

Cartographie d’influence des législatives sur Twitter

cartographie legislatives

Ces données mettent en évidence plusieurs transformations de la twittosphère politique. À ce stade, nous en avons repéré quatre, pérennes ou éphémères - le temps le dira - qui nous semblent intéressantes à étudier.

Première transformation : un leadership numérique élargi à gauche sur les législatives

C’est sans doute le fait le plus notable et la conséquence directe de la stratégie de Jean-Luc Mélenchon, qui réussit actuellement à faire des législatives un événement politique. En positionnant les législatives comme un troisième tour de la présidentielle - « Élisez-moi Premier Ministre » - et en poussant à l’union de la gauche, Jean-Luc Mélenchon et LFI élargissent mécaniquement leur sphère habituelle à une communauté plus large, intégrant EELV et une partie du Parti socialiste (zone bleue de la cartographie), tout en se plaçant au centre du jeu.

La création de la NUPES le 1er Mai, issue des différentes négociations entre partis, se traduit par une forte activité les jours suivants. La comparaison avec la création de Renaissance, ex-LREM est sans appel, avec plus du double de messages pour NUPES.

volume tweets nupes

On constate aussi que Jean-Luc Mélenchon réussit à rester au centre d’une union, comme l’illustre le top des hashtags sur NUPES ci-dessous, dont la naissance est pour le moment associée à une très forte dimension polémique (cf. tweets les plus partagés).

top hashtags nupes

top tweets nupes

Deuxième transformation des législatives sur Twitter : un Zemmour dans sa bulle, un RN très discret

La communauté autour d’Éric Zemmour est toujours très présente sur la twittosphère politique (zone orange en bas de la cartographie) mais elle apparaît plus isolée, notamment de la sphère RN, avec laquelle les interactions sont limitées. Le désaveu du RN vis-à-vis de Reconquête, jugé comme le grand perdant de la présidentielle, est directement observable. Sur Twitter aussi, l’union des droites ou plutôt des extrêmes-droites ne se concrétise pas.

Plus globalement, pour la communauté d’Éric Zemmour, les planètes ne sont plus alignées : disparue la triple boucle vertueuse d’un effet « nouveauté politique » conduisant à une intense production médiatique amplifiée et nourrie par l’effet caisse de résonance de Twitter. Pour cette législative, l’effet nouveauté est du côté de la gauche, entraînant l’attention et la production de contenus des médias. La cartographie révèle une très forte activité des leaders du mouvement Reconquête (ils ressortent fortement dans la cartographie, signe de leur forte activité) à la fois pour promouvoir l’union et pour maintenir l’engagement des sympathisants et militants, mais cette hyperactivité tourne en vase clos désormais.

tweets zemmour

Quant au RN, c’est désormais un classique, il ne considère pas que Twitter constitue un vecteur stratégique pertinent. Sa présence est donc réduite sur cette cartographie. Ce qui signifie aussi que les ex-militants numériques très actifs du RN ayant basculé chez Reconquête lors de la présidentielle n’ont pas fait pour l’instant le chemin inverse.

Troisième transformation : le silence de la majorité présidentielle

La cartographie, qui a été réalisé sur les deux premières semaines suivant le second tour de la présidentielle montre à quel point finalement la gauche a su profiter d’un espace politique laissé vacant par Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

Ce dernier, qui s’est peu exprimé depuis quinze jours laisse ses militants et sympathisants dans l’expectative, ce qui se traduit par une sorte de no man’s land (zone verte de la cartographie) dans lequel aucun relais notable n’apparait aux côtés du nouveau président. De manière générale, la communauté numérique associée à la majorité présidentielle reste pour l’instant peu structurée, intervenant souvent davantage de manière réactive que de manière organisée.

Les débats entre les rapprochements potentiels de LR et de Renaissance ne génèrent que peu de conversations et pour tout dire, LR confirme d’ores et déjà sa disparition de l’espace Twitter en tant que communauté.

Quatrième transformation : l’effacement (provisoire ?) de la communauté « complotiste »

La crise sanitaire a vu émerger une communauté hétérogène composée d’euro-sceptiques, de souverainistes, d’antivax et antipass. Cette communauté, agrégée autour du mouvement des Patriotes, était particulièrement active durant la crise sanitaire, en opposition radicale au gouvernement et au Président Macron. Elle a également joué, avant le premier tour, un rôle de premier plan dans l’affaire McKinsey, qui visait directement le président (cf. notre article précédent). Faute d’aspérités sans doute, cette communauté n’est pas identifiable pour l’instant sur Twitter.

La gauche s’impose sur Twitter sur les législatives

En conclusion, les premières semaines des élections législatives laissent apparaître sur Twitter une dynamique beaucoup plus marquée du côté gauche de l’échiquier politique, dynamique qui a bénéficié du silence de la majorité présidentielle et du RN.

Mais là encore, un leadership sur Twitter ne fait pas une élection. D’autant que les législatives comportent une très forte dimension locale. Or, si La France Insoumise dispose d’une communauté de sympathisants/militants numériques très organisée capable de faire beaucoup de bruit sur Twitter, elle est en revanche très peu implantée localement, notamment dans les départements moins urbanisés.

Attention, en conséquence, à l’effet miroir déformant du réseau social le plus politique.

Bandeau whatsup