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Expertise
Généralisation du SNU : quelques enseignements vus de Twitter

Thierry Herrant
Consultant - Enseignant en communication publique à Sciences Po Paris

@thierryherrant

Nous retrouvons cette semaine, sur le blog de Visibrain, Thierry Herrant, consultant et enseignant en communication publique à Sciences Po Paris, pour une analyse des échanges autour du SNU sur Twitter.

Depuis le début de l’année, l’attention du Twitter médiatico-politique est centrée presque exclusivement sur la réforme des retraites. Les autres sujets ont quasiment disparu. S’il est difficile de connaître l’issue du bras de fer entre les opposants à la réforme et l’Exécutif, celui-ci affirme qu’il poursuivra sans hésiter la mise en œuvre de ses projets réformateurs. Ce que résume ainsi Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement : « La réforme des retraites ne signe pas la retraite des réformes ».

Déployer de nouveaux projets, oui mais lesquels dans un contexte très tendu ? Autrement dit, comment se remettre en mouvement sans verser un peu plus de l’huile sur le feu ? Sans surprise, un projet de loi sur l’immigration a été reporté sine die, des projets de modification des institutions sont à l’étude tout en sachant qu’ils ne constituent pas des marqueurs de transformation puissants aux yeux de l’opinion.

Comme l’a révélé fin février le magazine de gauche Politis dans un article intitulé « Comment Macron veut mettre la jeunesse au pas » (papier le plus relayé sur Twitter sur le sujet avec 4 410 partages), une réflexion plutôt avancée est également en cours afin de généraliser le Service National Universel (SNU).

top articles SNU

Service National Universel (SNU) sur Twitter : une montée de fièvre riche d’enseignements

Serpent de mer depuis 2017, le SNU demeure néanmoins un sujet toujours très inflammable. Sur Twitter, ce scoop de Politis a ainsi provoqué une montée de fièvre brève - 171 200 messages publiés - mais riche d’enseignements pour analyser le caractère plus ou moins « crisogène » de ce projet dans l’opinion.

chiffres clés SNU

Le SNU, un projet au positionnement ambigu

Depuis sa création, le SNU souffre d’un positionnement compliqué à appréhender. Destiné aux jeunes de 15 à 17 ans, il poursuit un large éventail d’objectifs : faire vivre les valeurs et les principes de la République, renforcer la cohésion nationale, faciliter l’insertion professionnelle des jeunes, développer une culture de l’engagement.

Dans ses modalités pratiques, le SNU s’apparente aussi à un long parcours : un premier séjour de cohésion de 12 jours (hors du territoire de résidence), puis une mission d’intérêt général de 12 jours et enfin un engagement volontaire, civique ou militaire, de trois mois à un an.

Ce n’est donc pas un service militaire, mais les signes qui le caractérisent sont très fortement empreints de culture martiale : port de l’uniforme obligatoire, lever des couleurs, hymne national, encadrement par des militaires à la retraite… Comme le rappelle l’historienne Bénédict Chéron, « le SNU est bercé par la nostalgie d’un service national disparu ».

SNU sur Twitter : deux principaux fronts de contestation du projet

top expressions et hashtags SNU

Le SNU promeut ainsi des valeurs civiques, éducatives et de vivre ensemble tout en adoptant des codes qui font de lui l’héritier du service national, le rattachant directement à l’univers militaire. Cette ambiguïté conduit de fait à ouvrir deux principaux fronts de contestation :

1/ Un front « éducatif » constitué principalement d’enseignants

2/ Un front « anti-embrigadement » constitué de militants et d’opposés à la militarisation d’un dispositif pour la jeunesse

Les messages les plus partagés durant cette séquence (ci-dessous) résument bien cette opposition en deux fronts, tout comme les principales expressions recueillies à partir des 171 200 tweets mentionnant le SNU (nuages de mots ci-dessus).

top tweets SNU

Cette double opposition ressort également de manière claire sur notre cartographie.

Cartographie des communautés d’influence autour du SNU sur Twitter

cartographie SNU

La zone de droite (ligne rouge) représente plutôt la communication officielle autour du SNU. Le gouvernement, tout particulièrement la Secrétaire d’État chargée de la Jeunesse Sarah El Haïry et le Ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye, ont dû monter au front pour faire œuvre de pédagogie, tenter de clarifier la vocation du SNU et de désamorcer les critiques montantes.

La zone de gauche (ligne bleue) est représentée par des opposants « anti-embrigadement » qui dénoncent à la fois un « dispositif militarisé », une « mise au pas » de la jeunesse. On trouve pêle-mêle des militants écologistes, des cadres LFI et des comptes héritiers d’une longue tradition de « anti-militariste » de la gauche française. Ils dénoncent une conception verticale, anachronique de la notion d’engagement et de transmission des valeurs, ils considèrent qu’il s’agit d’un pas de plus vers une République autoritaire et sécuritaire, portée par le chef de l’Etat. Pour eux, le SNU est un « projet de vieux » inadapté à une jeunesse confrontée à d’autres enjeux : climat, inégalités…

Le front « éducatif » (en haut de la cartographie, ligne mauve) n’est pas moins critique sur le SNU et sa généralisation. Composé principalement d’enseignants et de leurs représentants, les points de divergence portent sur plusieurs aspects :

  • Les douze jours obligatoires du SNU pris sur le temps scolaire sont du temps en moins pour les enseignants
  • Le coût du dispositif est exorbitant (entre 1,5 et 2 mds) alors que les moyens manquent au sein de l’Éducation nationale
  • L’objectif de cohésion sociale ne peut pas être réalisé dans un délai aussi court
  • Surtout, c’est à l’école de porter les valeurs de la République et de citoyenneté, pas à un dispositif de substitution comme le SNU

Pour conclure, si la poussée de fièvre a été brève, elle n’en reste pas moins instructive.

Les deux fronts de critique évoqués auxquels s’ajoute un projet au positionnement ambigu obligent déjà l’Exécutif à jouer en défense.

Ce qui n’est pas sans rappeler le tout début de processus du débat sur les retraites. D’autant qu’un rapport du Sénat très critique sur la généralisation du SNU vient de donner du grain à moudre à ses opposants. Beaucoup d’éléments concordants pour penser que la mise en place du SNU pourrait vite se transformer en parcours du combattant pour le gouvernement.

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