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Expertise
Réforme du RSA sur Twitter : une indignation éphémère ?

Thierry Herrant
Consultant - Enseignant en communication publique à Sciences Po Paris

@thierryherrant

Nous retrouvons cette semaine, Thierry Herrant, expert-partenaire Visibrain, pour une analyse des échanges autour de la réforme du RSA sur Twitter.

Le 26 avril dernier, la Première Ministre Elizabeth Borne confirme que les allocataires du Revenu de solidarité active devront s’engager à suivre 15 à 20 heures d’activité hebdomadaire pour « leur permettre de découvrir des métiers, de se former si besoin ». Un processus ayant vocation à être étendu à tous les bénéficiaires, soit 2 M de personnes.

Cette mesure constitue un marqueur politique fort pour l’Exécutif : elle montre la capacité à réformer en dépit d’un climat social tendu. Elle souligne aussi sa détermination à continuer de creuser son sillon autour de la « valeur travail » et du plein-emploi. Elle rejoint un impensé qui travaille une partie de l’opinion en profondeur : il faut remettre les gens au travail et sortir de l’assistanat.

Réforme du RSA : une montée en puissance brève mais intense sur Twitter, comparable à celle autour du SNU en mars dernier

Le 27 avril, l’annonce est reprise par l’Obs et très largement relayée sur Twitter (article le plus relayé de cette séquence).

Cette mesure des 15/20 heures obligatoires produit une brève mais forte poussée de fièvre sur le réseau (assez comparable à celle produite pour le SNU) : 191 000 messages partagés et beaucoup d’indignation, ce qui n’est guère étonnant pour un sujet très clivant.

timeline des tweets sur la réforme du RSA

Cartographie des communautés actives sur Twitter sur le sujet RSA

La cartographie que nous avons établie à partir de ces messages permet d’y voir plus clair et de comprendre comment est perçue la réforme.

cartographie

1/ Une contestation de la réforme très majoritaire, jugée « stigmatisante » et avilissante pour les plus pauvres (zone centrale en bleu)

Les tweets les plus partagés en témoignent, ils sont tous opposés à cette mesure :

top tweets

La contestation se structure essentiellement sous l’angle du travail, et tout particulièrement des conditions de travail (cf. nuage des expressions ci-dessous). On parle d’”exploitation inacceptable”, de “travail forcé pour des salaires de misère”, de “retour à l’esclavage” ou encore de “volant de main-d’œuvre pour pourvoir aux emplois dans les secteurs vacants”.

top expressions

Pour toute cette zone très critique, les plus pauvres ne doivent pas être les variables d’ajustement du marché du travail. Des personnes jugées stigmatisées et que l’on met fréquemment en vis-à-vis des nantis s’enrichissant chaque jour un peu plus. On retrouve ici la critique d’une France coupée en deux, à deux vitesses, la France d’en haut contre la France d’en bas : une critique récurrente depuis la première élection d’Emmanuel Macron en 2017.

2/ À l’opposé, mais de manière beaucoup plus réduite, une communauté plutôt favorable à l’obligation des 15/20h (zone à gauche de la cartographie)

Pour les partisans de la mesure, moins nombreux, l’approbation s’organise autour de deux thèmes.

Le premier thème, c’est que le dispositif renforce le contrôle des fraudeurs. On enfourche notamment ici le cheval de bataille habituel d’une droite nationaliste, qui dénonce à travers la fraude au RSA une immigration jugée incontrôlée.

Aller plus loin dans le contrat d’engagement fixant droits et devoirs constitue le second thème. Pour les tenants de cette position, les aides sociales doivent être conditionnées à plus de contreparties, en faisant en sorte que ces obligations favorisent le retour à l’emploi. Cette vision s’inscrit dans une tendance plus large, très largement partagée dans l’opinion : selon un sondage Elabe 2022, « 65% des Français considèrent qu’il y a trop d’« assistanat » en France et que notre modèle social a trop d’effets pervers. »

La représentation du « pauvre indolent » qui bénéficierait des aides sociales sans faire d’efforts est de fait très ancrée dans l’opinion, surtout dans une société où les travailleurs pauvres sont légion.

On le constate, qu’ils soient partisans ou opposants, les postures sont avant tout idéologiques. Elles reposent assez peu sur des faits documentés ou sur des analyses fouillées (les premières expérimentations sur 18 territoires sont en cours), comme on a pu le constater sur le sujet des retraites, à même de relancer et bousculer le débat. Les acteurs associatifs (LDH, ATD Quart Monde..) les plus à même de fournir une vision fine des situations de pauvreté sont en réalité assez peu relayés.

3/ Dès lors, deux angles morts du projet, pourtant essentiels, sont absents des débats (cf. zone en bas de la cartographie).

  • Un débat de fond : avant de parler travail, faut-il une contrepartie à l’aide sociale ? Pour de nombreux acteurs associatifs, accompagner n’est pas conditionner. « Le RSA est une aide sociale, un minimum vital, bien en dessous du seuil de pauvreté (1128 € mensuel pour une personne en 2022). Il ne doit pas être conditionné à des activités ». « Le RSA devrait être un socle incompressible et inaliénable ».
  • La faisabilité de la mesure. Une politique publique impossible à mettre en œuvre, cela s’appelle aussi un effet d’annonce politique. La question concrète tourne autour des solutions d’accompagnement sur mesure, alors qu’ici comme ailleurs, l’accompagnement personnalisé est en souffrance et souvent défaillant faute de moyens humains et financiers. Le coût ensuite, très élevé : un rapport de préfiguration de France Travail estime qu’il faudrait investir près de 3 milliards d’euros sur trois ans pour financer le nouveau RSA.

Réforme du RSA, vers un retour sur le devant de la scène ?

À quelques jours de l’annonce de projet de loi sur le plein-emploi, le Ministre du Travail Oliver Dussopt a annoncé que les 15 à 20 heures d’activités obligatoires d’insertion par semaine pour les bénéficiaires du RSA, ne seraient pas inscrites dans la réforme du dispositif.

La mesure ne disparait pas, mais elle sera appliquée individuellement, au cas par cas, selon la situation de chaque bénéficiaire.

À vrai dire, on peut se demander, d’un pur point de vue politique, pourquoi le gouvernement a choisi de rétro-pédaler sur cette mesure. Car en réalité, tout bien regardé, la mobilisation contre ce projet n’a été qu’un feu de paille : elle est plutôt idéologiquement marquée, ne bénéficie ni du soutien de l’opinion ni d’ « influenceurs » à même de faire bouger les lignes (on pense à Michael Zemmour sur les retraites, par exemple). Un signe parlant : la pétition lancée sur change.org peine à trouver des signataires. Par conséquent, face à cette opposition somme toute réduite, on peut se dire qu’il y a fort à parier que le sujet reviendra assez rapidement sur le devant de la scène.

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