NOUVEAU - CEO américains & réseaux sociaux : état des lieux

L'avis des experts
Comment rendre accessible l’écologie ? Décryptage par Dan Geiselhart

Marie Guyomarc’h
PR & content manager

@MarieGuyomarch3

Le sujet de l’écologie est partout. Pourtant, il reste pour certains, un sujet sensible. En tant que marque, comment incarner le discours de l’écologie ? Comment ne pas tomber dans le greenwashing ? Quels sont les bons élèves ? Et, au contraire, quelles sont les pratiques à éviter ?

Pour répondre à toutes ces questions, nous accueillons Dan Geiselhart sur le blog de Visibrain. Co-fondateur du média Climax, Dan nous apporte son regard d’expert sur la révolution climatique et nous livre sa vision sur différentes campagnes publicitaires dédiées à ce sujet.

Écologie et réseaux sociaux font-ils bon ménage ?

C’est une bonne question ! Pour commencer, tout dépend du réseau social. Et concrètement, il est aujourd’hui assez difficile d’avoir un avis tranché sur la question.

Prenons l’exemple de LinkedIn : d’un côté, beaucoup d’entreprises communiquent sur la façon dont elles opèrent leur transformation écologique, sur les actions qu’elles mettent en place pour être plus écologiques, pour avoir un bilan carbone moins élevé. On constate que les marques s’emparent des réseaux sociaux pour en parler, ou tout du moins essayer d’en parler. De temps en temps, il s’agit de véritables avancées concrètes en matière d’écologie, mais trop souvent, c’est purement et simplement du greenwashing.

De l’autre côté, notamment sur LinkedIn, de nombreux influenceurs et personnalités s’expriment (dont certains font partie des top voices) et portent un discours écologiste parfois assez radical. C’est un constat assez étonnant, car dans l’imaginaire collectif, LinkedIn est une plateforme professionnelle, un réseau social « bien-pensant » où les utilisateurs mettent en avant leur travail, leurs expériences ou encore leur CV de manière bienveillante, sans prendre position sur des thématiques clivantes.

Cependant, on observe que, sur ces deux ou trois dernières années, les profils écologistes prennent de plus en plus de place sur LinkedIn. Parmi les personnalités les plus suivies sur ce réseau social, aux côtés de grands noms de l’entrepreneuriat et d’influenceurs marketing (comme Caroline Mignaux, Pauline Laigneau ou Anthony Bourbon) se trouvent des influenceurs écolo avec un discours radical voire décroissant à l’image de Jean-Marc Jancovici (1,1 million d’abonnés), Thomas Wagner (168K abonnés) ou Maud Caillaux (101K abonnés).

Il y a donc une dichotomie intéressante et un peu ubuesque. D’un côté nous avons un discours entrepreneurial classique et des entreprises qui font même du greenwashing sans trop de complexe. Et de l’autre, nous avons des influenceurs écolos qui pointent nommément du doigt certaines entreprises. Nous avons l’impression que ce sont deux mondes qui ne se rencontrent pas, et que chacun est dans sa bulle de filtre.

Dernier point et pas des moindres : depuis quelques temps, il y un autre phénomène qui prend de l’ampleur, le greenhushing. Vu que certaines entreprises commencent à comprendre qu’elles ne peuvent plus raconter n’importe quoi concernant leurs engagements écologiques, soit parce qu’elles se font épingler publiquement par des influenceurs ou médias écolos, soit parce qu’elles tombent sous le coup de la loi (rappelons que la loi Climat et Résilience de janvier 2023 interdit aux entreprises de communiquer sur un service ou un produit supposément « neutre en carbone » ou « biodégradable »), elles ont opté pour une autre solution : se taire !

C’est ce qu’on appelle le « greenhushing », ou « éco-silence » : quand on ne peut plus faire de greenwashing, on arrête purement et simplement de communiquer sur le sujet. Évidemment, c’est un peu cynique. Certes, c’est une bonne chose qu’il y ait moins de greenwashing, mais concrètement, ce serait mieux de voir des efforts concrets sur la question écologique plutôt que d’éluder tout simplement la question.

Quel est ton regard sur la place de l’écologie sur d’autres réseaux sociaux plus lifestyle à l’image de TikTok ?

Si on prend le cas de TikTok, on voit que l’écologie y est très peu, ou en tout cas pas assez présente. La majorité des personnalités qui ont un peu d’influence en la matière se positionnent sur une écologie de type « petits gestes », recyclage, upcycling ou « comment faire ton compost », plutôt qu’une écologie politique. Je pense par exemple à Alie Meriaud (205K abonnés), qui propose un super contenu, mais très dépolitisé, et qui ne dérange personne, ou à certains influenceurs qui vous montrent comment on réemploi une vieille paire de basket pour en faire un sac à main.

On trouve également des marques qui ont compris comment communiquer de façon intelligente et avec des contenus didactiques sur l’écologie. Il y a notamment à Mylovelyplanet (500K abonnés), qui ont développé une application sous la forme d’un jeu qui permet de sensibiliser sur les questions environnementales. Leur compte est assez suivi avec 500K abonnés. Pareil pour la banque éthique GreenGot (150K abonnés), qui poste des contenus intéressants.

Ces deux exemples sont intéressants : ils montrent qu’il y a de toute évidence une carte à jouer sur TikTok, vu la sous-représentation de l’écologie qu’on peut y constater. Avec Climax, ça fait longtemps que l’on se dit qu’il y a un boulevard sur TikTok, d’une part parce qu’il s’agit de l’application la plus téléchargée en 2023, mais aussi parce qu’elle est la plus utilisée par les moins de 25 ans. Ce qui ne veut pas dire que c’est forcément simple de percer, parce qu’il faut réussir à raconter quelque chose de captivant tout en adoptant les codes très précis propres à ce réseau social.

Et sur Instagram ?

Concernant Instagram il y a beaucoup plus de contenus divers et variés sur l’écologie et c’est donc beaucoup plus compliqué de se positionner et de faire la différence. Notamment parce que le sujet de l’écologie est déjà « trusté » par certains comptes assez suivis, comme ceux d’Hugo Clément (1,2M abonnés) Camille Étienne (413K) ou Thomas Wagner alias Bon Pote (232K) et pas mal d’autres. Je pense aussi à Gaetan Gabriele (218K), qui produit des formats hebdomadaires humoristiques, mais toujours avec un fond didactique, où il explique les choses clairement mais avec des blagues, en dansant… Cette façon d’éditorialiser l’écologie permet d’avoir un contenu digeste, écrit et interprété avec les codes utilisés par les Instagrameurs ou TikTokeurs classiques. Et ça marche plutôt bien !

Dans une veine similaire, on peut parler de Mathilde Caillard alias @mcdansepourleclimat qui est très engagée politiquement et qui a réussi un coup de force en faisant parler d’elle partout dans le monde avec ses vidéos de danse captées lors des manifestations contre la réforme des retraites. Ses vidéos ont fait le tour des réseaux sociaux, et ont même été relayées dans les médias internationaux. Elle cristallise une manière intelligente et originale d’aborder l’écologie avec un ton décalé, et avec un contenu qui fonctionne parce qu’il est viral par essence.

Quels seraient les do et les don’t en matière de communication RSE ? Comment éviter le greenwashing en tant que marque ?

Toute entreprise a une activité, et donc un impact environnemental.

Par définition, le greenwashing repose sur le fait d’orienter l’attention et la communication sur une petite action, qui certes est écologique, sans pour autant parler de son activité principale. C’est le principe même de cette stratégie marketing de l’écoblanchiment.

Vu que les consommateurs sont de moins en moins dupes, le discours sur l’écologie est souvent devenu compliqué pour une marque. Et c’est d’autant plus compliqué de l’aborder de façon pertinente.

Mes trois conseils, pour une marque, seraient :

  • Oser aller à contre-courant
  • Porter un discours pédagogique
  • Lutter contre la surconsommation tout en faisant preuve de transparence

Ce qui est sûr, c’est que le discours écologique doit être différent selon les secteurs. Il y a, en effet, des entreprises qui ont fondamentalement des activités très polluantes comme les compagnies aériennes, les constructeurs automobiles, les banques qui financent des activités polluantes… Comment ces entreprises peuvent-elles communiquer autrement ? Plutôt que de raconter n’importe quoi, elles doivent réfléchir à être le plus transparentes possibles, exposer leurs efforts sans cacher leurs angles morts.

As-tu un exemple de bad buzz en tête ?

Du côté des polémiques, je pense tout de suite à Air France ou Easyjet. Dans ses communications, Air France a régulièrement été épinglée pour son greenwashing – récemment, c’est au Royaume-Uni qu’une de ses campagnes, qui expliquait qu’on pouvait « voyager de façon plus durable » en avion, a été interdite.

Easyjet est un autre exemple : on se rappelle de la publicité où la compagnie aérienne communiquait fièrement « Nous ne donnons pas de leçon, nous compensons nos émissions », nous expliquant qu’il n’y a aucun souci à voler avec elle vu que tout le CO2 émis serait compensé (ce qui est faux et impossible d’après tous les scientifiques). Cette posture « je n’ai rien à me reprocher » est catastrophique, vu qu’aujourd’hui tout le monde, ou presque, sait que c’est faux. Et ce n’est pas le seul dérapage de l’entreprise : en décembre 2023, la compagnie aérienne a construit un argumentaire écolo pour expliquer qu’elle arrêtait la distribution de gobelets jetables dans les avions. Même si c’est une bonne chose (on ne va pas leur reprocher), c’est compliqué de communiquer sur ce genre d’initiative, vu qu’il s’agit d’un micro-effort par rapport à la globalité de son activité très polluante. Par-dessus le marché, c’est désormais obligatoire –il n’y a donc pas vraiment de raison de s’en vanter.

C’est exactement comme Burger King ou McDonald’s qui font des campagnes nous expliquant qu’ils sont passés à la vaisselle réutilisable (ou qu’ils ont arrêté les jouets en plastique dans le Happy Meal, pour McDo), alors qu’ils ne l’ont pas fait de gaité de cœur, mais parce que l’utilisation d’emballages jetables est tout simplement interdite en cas de consommation sur place depuis le 1er janvier 2023.

Ce sont des exemples typiques de greenwashing, ou les entreprises ne parlent pas de leur activité principale et détournent l’attention en parlant de détails, ou alors en mettant en scène des efforts qu’ils sont contraints de faire, et en profitent pour se présenter comme des entreprises ayant la cause écologique à cœur.

Au contraire, as-tu des exemples de bons élèves ?

Du côté des bons élèves, deux exemples me viennent en tête. Le premier, c’est Patagonia, un équipementier vestimentaire américain spécialisé dans le outdoor. Depuis quelques années, l’entreprise communique avec un vrai ton décalé, original et disruptif. Une de leur campagne publicitaire a marqué les esprits, on peut parler de vrai « good buzz » sur les réseaux sociaux. En mettant en avant une de leur veste accompagnée du slogan « Don’t buy this jacket », la marque fait sensation. C’est hyper fort selon moi : tout le monde en parle ! Le message était très clair, à l’opposé du greenwashing.

Un autre bon élève en la matière est la marque française Asphalte. Leur discours « consommer moins, mais mieux » est très intéressant. La marque fait, d’ailleurs, participer leurs communautés et clients par le biais de questionnaires pour développer de nouveaux produits. En tant que client, on se sent directement investi dans le projet.

La thématique de l’écologie est-elle commentée en ligne de la même manière en France versus à l’étranger ?

En France et dans le monde anglo-saxon (Allemagne, Royaume-Uni), nous sommes (plus ou moins) alignés en termes de discours écologique. Après, il faut bien se rendre compte que nous sommes dans une bulle : de nombreux autres pays ne prennent absolument pas en compte ces questions, et les préoccupations sont davantage tournées vers le pouvoir d’achat.

L’écologie est, pour l’instant tout du moins, une préoccupation de pays riches, même si malheureusement ce sont les pays du Sud économique qui souffrent en premier des dégâts causés par le changement climatique.

Contrairement aux pays européens, il semblerait qu’aux États-Unis, probablement pour des raisons culturelles, l’approche écologique ait encore du mal à trouver de l’écho au niveau mainstream. Là-bas, le greenwashing est extrêmement courant et il se fait très peu critiquer.

Prenons l’exemple d’Apple, géant de la tech américain : l’une des dernières campagnes autour de leurs actions écologiques en est la preuve. Cette campagne met en scène, en vidéo, Tim Cook en train de discuter avec une personne censée représenter la « Mère Nature ». Sous la bénédiction de « Mother Nature », le CEO expose au monde la neutralité carbone de certains de ses produits, et celle de l’ensemble de l’activité de la marque pour 2030. Cette campagne part peut-être d’une bonne intention, mais malheureusement, ce discours est biaisé et repose sur des projections irréalisables et fausses en partie. C’est donc du greenwashing.

Cependant, je ne pense pas qu’il faille jeter le bébé avec l’eau du bain : d’un côté certes, Apple fait des projections irréalistes avec ses panneaux solaires et sa compensation carbone. Mais de l’autre, le fait qu’une entreprise aussi importante et avec un tel poids dans l’économie mondiale, et un tel impact au niveau symbolique (rappelons que les publicités de la marque sont extrêmement commentées, partagées…), que ce type d’entreprise parle d’écologie comme sujet principal de sa dernière campagne, c’est quand même une bonne chose. Je suis persuadé que ce genre de campagne a sensibilisé certains américains qui n’avaient jamais entendu parler du changement climatique auparavant. Maintenant, il faut espérer que la prochaine campagne de la marque expose des avancées concrètes plus solides ne reposant pas sur des allégations fausses et exagérées. Par exemple, l’entreprise pourrait mettre en avant la durabilité de ses produits, nous expliquer qu’on n’a pas besoin de racheter d’iPhone tous les 6 mois et nous montrer comment on peut les réparer ou les faire réparer à moindre coût. Ce serait beaucoup plus constructif.

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