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L'avis des experts
La place de l’intelligence artificielle dans les métiers de la communication : décryptage d’Arnault Chatel

Marie Guyomarc’h
PR & content manager

@MarieGuyomarch3

L’intelligence artificielle bouleverse de nombreux secteurs. Les communicants et plus particulièrement les publicitaires se retrouvent face à de nouveaux challenges. Comment cohabiter avec ces outils au quotidien ?

Entre opportunités et risques, quelle est la place de l’intelligence artificielle dans les processus créatifs des marques ?

Pour en parler, nous avons le plaisir d’accueillir, Arnault Chatel. Conférencier en intelligence artificielle et responsable pédagogique du MBA DMB (Digital Marketing & Business) de l’EFAP, Arnault nous livre son regard sur l’intelligence artificielle dans le monde de la communication.

On parle de plus en plus de l’intelligence artificielle générative avec les outils tels que ChatGPT ou MidJourney, mais qu’en est-il de sa présence dans le secteur de la publicité ?

Tout dépend du point de vue dans lequel on se positionne. Pour les consommateurs, c’est une bonne posture.

Pour les professionnels de la communication, c’est un peu la panique à bord si je peux me permettre. Je vous donne un exemple pour bien comprendre : un alternant rejoint une agence de publicité composée de deux directeurs artistiques et de nombreux graphistes. Cet étudiant maîtrise les outils d’intelligence artificielle, contrairement au reste de son équipe. Il est convoqué par ses managers lui demandant de former tous ses supérieurs à ces nouvelles technologies. Cela représente un réel changement de pratique au sein des équipes.

Un réel bouleversement est en train de s’opérer dans les métiers de la communication. Pourquoi ? Parce que l’intelligence artificielle générative touche à la dernière des choses qui distingue la singularité de l’être humain aux machines, c’est-à-dire l’intelligence.

Il y a quelques années, quand ces évolutions technologiques arrivaient dans le monde professionnel (usines et autre), elles avaient pour but de faciliter la vie de des collaborateurs, d’avoir recours à moins d’employés, même si le besoin de personnel restait essentiel.

Les « cols blancs » pensaient ne pas être inquiétés par l’arrivée de ces outils, que l’intelligence artificielle ne pourrait jamais être créative, qu’elle ne pourrait jamais penser, et cela est arrivé. Tout est en train d’arriver. Donc, dans les métiers spécifiques des créations de la publicité, c’est le branle-bas de combat, parce que les créatifs prennent conscience, ils voient bien les résultats de l’arrivée de l’intelligence artificielle.

Mais comment imaginer une expression que l’on connaît tous très bien qui est « la complémentarité homme / machine » ? Elle prend tout son sens aujourd’hui. Est-ce que les professionnels vont se diriger vers un autre métier ? Est-ce qu’ils vont s’approprier ces outils ? Est-ce que cela va augmenter leur travail ? Autant de questions à se poser.

Comment perçois-tu sa place dans l’univers de la publicité ? Quelles sont les opportunités et les risques pour les marques ?

L’arrivée de l’intelligence artificielle dans le monde de la publicité est positive car elle va permettre aux créatifs et aux communicants de se concentrer sur davantage de tâches à forte valeur ajoutée d’un point de vue humain. Cela va aussi leur permettre d’avoir des sources d’inspiration différentes. Cela n’est pas parce que nous avons des sources d’inspiration que l’on devient obsolète. Au contraire, cette source d’inspiration va peut-être nous emmener vers d’autres choses auxquelles nous n’aurions pas pensé en premier lieu.

Je trouve que c’est, au contraire, une opportunité pour le business. Après la question sera la suivante, en tant qu’entreprise, quelle posture aurons-nous sur cette révolution ?

Et cela répond aux fameux trois gains du marketing : gain de temps, gain d’argent et gain d’intelligence.

Du côté des risques, ils sont doubles, voire triples. Le premier est le risque général de toutes les intelligences artificielles : c’est qu’elles soient biaisées. En fonction de la demande, elle va produire des créations où il pourrait par exemple y avoir moins de femmes, moins de personnes issues de la diversité… Elle peut exclure plutôt qu’inclure. Une intelligence artificielle n’invente rien, cela ne fait que réinterpréter quelque chose d’existant. Et elle le fait très bien.

Le second risque consiste au fait que la créativité risque d’être uniformisée.

Le troisième est un risque mais à la fois une opportunité. Ce qui fera que les créations ne seront pas uniformisées va être la capacité de la personne qui est derrière l’écran de proposer ou de « prompter » comme on aime tant le dire, de manière intelligente. Mais rédiger un prompt, ce n’est pas comme lorsque l’on fait une requête dans Google. Cela n’a rien à voir. Et n’oublions pas que Google a fêté ses 25 ans hier. Cela fait donc un quart de siècle qu’une grande partie de la population a été formatée à dialoguer avec Google, donc avec des habitudes, des usages, des rites…

Ici, on change totalement de paradigme.

Quels sont les usages à éviter avec l’intelligence artificielle côté création de campagnes publicitaires ?

L’usage à éviter serait de confier, en l’état actuel des choses, la création 100% à la machine. Je n’imagine pas, pour le moment, l’intelligence artificielle comme un substitue mais comme une valeur ajoutée. L’objectif est d’avoir des créatifs augmentés.

L’autre usage à proscrire qui est diamétralement opposé, serait que des annonceurs refusent aux agences, dans le cadre de compétitions, l’utilisation de ces outils. De mon point de vue, ce sont des personnes qui ne sont pas encore dans le triptyque de la révolution. Il est toujours identique : c’est « ridicule » dans un premier temps, puis c’est « dangereux » et enfin c’est « évident ». Aujourd’hui, nous sommes déjà au stade de c’est « évident ».

L’intelligence artificielle donne-t-elle, selon toi, un nouveau souffle à la publicité ? Certains métiers seront-ils amenés à disparaître ?

Les agences utilisent déjà ces outils. Dernièrement, Coca-Cola a sorti une nouvelle bouteille et la publicité a été réalisée à l’aide d’une intelligence artificielle générative. Précédemment, c’est Undiz qui avait également généré une campagne publicitaire dans les métros parisiens et partout en France avec MidJourney. L’intelligence artificielle est déjà arrivée dans les processus créatifs.

Des métiers vont disparaître. Mais, à chaque évolution technologique il y a eu des métiers qui ont disparus. Au 18ème siècle, il y avait 25 000 porteurs d’eau à Paris, quand l’eau courante est arrivée, ces porteurs d’eau ont dû se réorienter.

À chaque saut technologique, des métiers meurent. C’est ni plus ni moins que la théorie de l’économiste Schumpeter : c’est la destruction créatrice de l’emploi qui est engendrée par l’arrivée de nouvelles technologies. Après, ici, ce qui est violent c’est que cela attaque des métiers qui étaient inattaquables, où tout du moins des métiers que l’on pensait intouchables.

Donc, la vraie question est : qu’est-ce que l’on va faire ? Non pas qu’il ne reste rien à faire, mais nous allons être amené à inventer de nouveaux métiers. Une nouvelle fonction est apparue : prompt engineer (ingénieur de requêtes), qui a pour mission de rédiger des requêtes dans un français parfait car les outils d’intelligence artificielle détestent les fautes.

Par ailleurs, un chiffre l’atteste : 85% des métiers de 2030 n’existent pas encore.

Développer de plus en plus ses soft skills est essentiel, et ainsi montrer sa singularité d’être humain. Pour le moment, ce ne sont encore que des machines, je dis bien pour le moment. Nous verrons bien demain ce qu’il se passe. Les machines n’ont pas ou très peu d’empathie, de capacité de captation, d’éloquence, de transmission, ou pas encore mais cela viendra peut-être…

As-tu déjà vu des agences spécifiques prendre le pli pour saisir l’opportunité d’intégrer de l’intelligence artificielle dans ces processus de création ?

Les agences qui sont spécialisées dans le contenu rédactionnel et d’optimisation dans le SEO utilisent l’intelligence artificielle de manière très fréquente.

Par exemple, pour réaliser un planning stratégique, il existe des outils d’intelligence artificielle qui permettent de les réaliser en quelques clics. Du côté des recommandations en termes d’investissement publicitaire, on peut prompter et ainsi demander à ChatGPT de faire une campagne avec des estimatifs tarifaires et avoir à disposition une roadmap complète.

Les agences spécialisées dans le social media ont aussi à disposition des outils qui permettent de pré-paramétrer des posts, leur diffusion, et même la production de ces derniers. C’est-à-dire que l’humain est « juste » présent pour paramétrer en amont. Une fois que tout est prêt, il est serein pour toute la semaine, et peut donc s’occuper d’autres tâches à forte valeur ajoutée.

As-tu des conseils pour les agences et les communicants qui font face à l’intelligence artificielle dans leur quotidien ?

Je reviens à ma conviction profonde, et mon domaine de prédilection : l’importance de se former. C’est l’enjeu de notre ère. Les intelligences artificielles n’arrêtent pas de se former et elles ne s’arrêteront jamais. Sans formation, on stagne, et on se fait doubler par ces dernières. Aujourd’hui, c’est compliqué de travailler sans ces outils.

Il ne faut pas baisser la tête et attendre que l’orage passe. L’orage va rester pendant très longtemps. C’est une révolution et la singularité d’une révolution et d’une transformation est qu’il y a des « morts ». Donc il va y avoir des morts. Ceux qui ne vont peut-être pas mourir, ce sont ceux qui vont embrasser les technologies et leurs usages avant les autres.

Il faut avoir des convictions, il faut s’affirmer et ne pas dire « non, je n’utilise pas ces outils, ce n’est pas bien ». Au contraire, il faut expliquer la démarche et la complémentarité : si je n’avais pas eu ça il n’y aurait pas eu ce résultat. Il faut y aller à 200%. Il ne faut pas empêcher les gens d’utiliser des outils qui vont permettre d’augmenter les métiers de communicants, de créatifs, et de marketeurs.

Je conseille de lire un ouvrage, « Hypercréation » de Flavien Chervet. C’est un spécialiste de l’intelligence artificielle mais qui est, à la base, philosophe. Il est passionné par l’art, par la création. Il met en avant l’histoire de l’intelligence artificielle, la technologie et la créativité.

Il est important de prendre de la hauteur et du recul sur tout ce qu’il se passe dans cet écosystème.

Se former et lire sont mes deux conseils clés.

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