NOUVEAU - CEO américains & réseaux sociaux : état des lieux

Expertise
Mastodon, le nouveau Twitter ?

Jean-Christophe Gatuingt
Co-fondateur

@wullon

Depuis la semaine dernière, un mot est dans toutes les bouches des spécialistes des médias sociaux : Mastodon. Il ne s’agit pas du groupe de musique mais d’un nouveau réseau social qui ressemble très fortement à Twitter et qui rencontre un succès auprès des utilisateurs francophones. Décryptage.

Mastodon : les similarités et différences avec Twitter

Mastodon est un réseau social au principe similaire à Twitter : pouvoir échanger des messages courts, accompagnés éventuellement d’une image ou d’un lien, en temps-réel. Comme sur Twitter, par défaut les échanges sont en public et Mastodon prend aussi la forme d’un réseau asymétrique c’est-à-dire qu’il est possible de suivre une personne sans que cette personne vous suive en retour.
Mastodon a été créé en octobre 2016 par le développeur allemand Eugen Rochko.

Mastodon ne cache pas sa source d’inspiration, et l’interface principale ressemble énormément à Twitter, ou plus exactement à TweetDeck (interface en colonnes). La majorité des fonctionnalités est similaire, avec souvent des clins d’œil dans leur nom : “Toot” à la place de “Tweet”, “Boost” à la place de “Retweet”, “Favori” à la place de “Like” (comme aux débuts de Twitter)…

La principale différence entre Twitter et Mastodon se trouve dans la propriété du réseau : Twitter est possédé par l’entreprise Twitter Inc., alors que personne n’est propriétaire de Mastodon. Mastodon est un réseau “décentralisé”, constitué de plusieurs “instances fédérées”, c’est-à-dire que le réseau suit un fonctionnement similaire à celui des emails : n’importe qui peut créer sa propre instance (ou fournisseur) en théorie. Dans la pratique, quelques grandes instances regroupent la plupart des utilisateurs (@gmail.com, @yahoo.fr, @hotmail.fr…). Toutes les instances peuvent communiquer entre elles : un utilisateur de Gmail, par exemple, peut envoyer un email à un utilisateur de Yahoo. Cette particularité peut perturber l’utilisateur au début car il faut choisir sur quelle instance vous vous inscrivez, ou alors communiquer aux autres son nom d’utilisateur complet (par exemple @visibrain@mastodon.xyz et non pas juste @visibrain).

Interface de Mastodon

Parmi les autres différences, nous trouvons la limite à 500 caractères au lieu de 140 et la présence d’une “Federated Timeline” qui regroupe l’ensemble des messages publics. Cette dernière est similaire à la “Public Timeline” présente aux débuts de Twitter, supprimée ensuite, lorsque le volume de tweets est devenu trop important. Vous pouvez trouver sur cette page (en anglais) une liste complète des différences entre Twitter et Mastodon.

Un engouement soudain chez les francophones

Bien que Mastodon ait fait ses débuts en octobre 2016, le nombre d’utilisateurs dans le monde est resté faible jusqu’au début du mois d’avril où la communauté Twitter francophone s’est intéressée au réseau. Décryptons le phénomène grâce à la plateforme de veille des réseaux sociaux Visibrain.

Statistiques du buzz Mastodon

Avant le 30 mars, les conversations autour de « Mastodon » sont faibles et concernent surtout le groupe de musique éponyme.

Quelques early-adopters du réseau en font la promotion sur Twitter mais leurs tweets n’ont qu’un impact limité :

Premiers Tweets sur Mastodon

Le début du succès de Mastodon en France commence véritablement le week-end du 1 et 2 avril. Plusieurs influenceurs comme @bayartb ou @bortzmeyer de la communauté du logiciel libre (et communauté associées : réseau, sécurité informatique…) s’inscrivent sur Mastodon et en font la promotion :

Premiers Tweets sur Mastodon

Une nouvelle instance à succès, créée par l’utilisateur français @TheKinrar, voit le jour à ce moment-là. Il s’agit de mastodon.xyz qui vient se rajouter à la première mastodon.social.

Le buzz des 2 premières instances Mastodon

Puis le premier article de blog francophone est publié sur le sujet, avec une centaine de partages sur Twitter & Facebook, toujours auprès d’une communauté plutôt “geek” :

Partages sociaux de l'article de Aldarone

Comme l’activité sur Mastodon était restée très confidentielle jusqu’à présent, même à l’échelle mondiale, l’arrivée d’autant de francophones se remarque :

Mastodon : How To Mute The French

De la communauté des logiciels libres à la presse grand public et aux YouTubers stars

Tout s’accélère le lundi 3 avril.

@gchampeau, le fondateur de Numerama, publie ce tweet à 9h38 :

C’est le début de l’effet boule de neige :

Début du vrai buzz Mastodon

Le YouTuber @MrAntoineDaniel entend parler du nouveau réseau social et crée un compte dessus. Il attire ainsi de nombreux curieux sur Mastodon parmi ses collègues et dans sa communauté.

Antoine Daniel sur Mastodon

En fin de journée le 3 avril, Numerama publie son premier article, et le buzz continue de grossir tout au long de la semaine. D’autres articles de presse sont massivement publiés. Le relai d’influenceurs et l’enthousiasme général de tous ceux qui continuent de rejoindre Mastodon nourrissent le buzz :

Top des articles sur Mastodon

Influenceurs Mastodon

Le hashtag #Mastodon arrive, ironiquement, en trending-topic sur Twitter le 4 avril ce qui participe à la découverte du réseau par le grand public. Certains internautes pensent au début à une actualité du groupe de musique :

En parallèle, un engouement similaire se développe partout dans le monde. Plusieurs instances Mastodon seront d’ailleurs fermées à cause de la surcharge d’inscriptions.

Quel avenir pour Mastodon ?

Il est toujours compliqué pour un nouveau réseau social de réussir au jeu de l’œuf et la poule : il faut attirer de nouveaux utilisateurs, qui ne viendront que s’il y a des personnalités intéressantes à suivre (journalistes, célébrités, politiques…) ou des articles de presse qui en parlent… Or ces-derniers ne s’intéresseront au dit réseau que si le nombre d’utilisateurs est suffisamment conséquent !

Mastodon vient indéniablement de gagner une bataille la semaine dernière. En seulement quelques jours son nombre d’utilisateur a triplé pour dépasser aujourd’hui la barre des 125 000 (sur l’ensemble des instances) ! Le réseau possède des spécificités intéressantes, et les early-adopters ont l’air convaincu. Pourtant, de nombreuses difficultés se présentent : pour l’utilisateur lambda, la différence par rapport à Twitter est infime. Pire, il pourra vite être perdu par l’aspect décentralisé du réseau qui est à contre-courant des habitudes du moment (Facebook, Instagram, Snapchat ou Twitter sont tous des réseaux centralisés) et déçu par l’immaturité du réseau (bugs, surcharges, faible volume d’activité).


Impossible donc de prédire à date l’avenir de Mastodon : Mastodon pourrait aussi bien être un digne successeur de Twitter qui n’aurait pas les contraintes de rentabilité qu’un énième flop. On se souviendra de App.net, Ello, Path ou encore Peach qui étaient supposés remplacer Facebook ou Twitter quand ils sont sortis.